On découvre aujourd’hui, Guy Pelchat, 53 ans, employé depuis 19 ans chez l’Épicier au renouvellement des commandes et contacts client. Je tente de dresser un portrait de cet employé, mais aussi de l’homme. Assis dans la salle de conférence, je découvre tout de suite un homme sympathique et souriant.

Sans même attendre le go, il me vante dès le départ le travail de son collègue Réal et comment tous les deux sont habités par les mêmes convictions professionnelles. Il défend ardemment les valeurs de l’entreprise : la politesse est capitale, il prône une approche amicale, tels sont les protocoles de la compagnie.

Guy passe ses journées de travail au téléphone. Son travail consiste à contacter les clients afin de renouveler leur adhésion. «Il faut être à l’écoute du client et être bien attentif à ses besoins. » Il me dit aussi que parfois, tu peux appeler dans un mauvais «timing» et c’est pourquoi il faut toujours être délicat.

Clairement emballé de parler de son emploi, il m’explique que tout ce que le client commente est inscrit au dossier et est reporté au service à la clientèle afin d’améliorer la qualité du service. Loyal comme pas un, il me vante leur capacité d’adaptation vis-à-vis la concurrence et que c’est ça qui fait la force de l’Épicier en réalité.

«19 ans… Ça en fait du téléphone», lui dis-je. « Tu imagines? Je renouvelle des clients dont le numéro de client est, par exemple, le 7191. Juste pour te dire, nous sommes rendus à 60 000. Au fil du temps, j’ai développé des liens avec les clients. Certaines personnes m’appellent et je sais qui c’est sans le numéro de client, juste à entendre sa voix. Ça crée des liens de confiance. »

Puis il continue, de plus belle : « Au téléphone, ta voix parle. Ta voix doit représenter un sourire. Tu dois laisser tes problèmes personnels de côté. Toujours un beau bonjour.»

Son département est à la toute fin du processus alors le protocole est important, m’explique-t-il. Chaque personne qui travaille pour l’Épicier, chaque phase du processus, que ce soit pour la livraison, la réception, le service à la clientèle, tout cela peut avoir un impact sur la satisfaction du client. Il m’explique comment les équipes travaillent fort pour y parvenir.

Tous les départements du service à la clientèle sont dans le même local ou à proximité. Guy me vante l’ambiance de travail dans leurs locaux. Il me parle de Réal, qui est là depuis une dizaine d’années et d’Éric qui est là depuis 15 ans. Je découvre qu’il est accompagné d’une équipe fidèle qu’il semble bien aimer.

Toutefois, même bien entouré, il me confie qu’il est souvent dans sa bulle. Il me dit ne pas voir la journée passer. « Je suis focusé. » Parfois, des collègues lui demandent même, en plaisantant, s’il travaille dans le même bureau qu’eux. On peut sans aucun doute parler d’un homme absorbé par son travail, tout comme il l’est pour cette entrevue.

Guy me parle de ses patrons avec beaucoup de respect. « Ils ont fait beaucoup pour moi. Personnellement aussi, pas seulement au point de vue professionnel. Ils m’ont compris. » Il insiste pour dire qu’il a toujours été bien accepté par ses patrons et qu’il ne s’est jamais senti jugé pour quoi que ce soit. « Ça, j’insiste, c’est rare. Je me suis senti privilégié de travailler dans un entourage aussi humain et cela a collaboré à me rendre fidèle à cette entreprise. »

Cela pique ma curiosité, puis on finit par discuter du trouble panique qu’il a déjà vécu, trouble qui n’en est plus un puisqu’il gère très bien cela aujourd’hui. Guy est un grand livre ouvert, un être généreux qui s’assume entièrement.

Des activités ? «Oui », me dit-il. Il fait du vélo, il adore partir sans destination précise, les week-ends, comme la piste cyclable est tout juste en face de sa demeure à Verdun. Il me parle aussi de son chien Teddy, qu’il aimait tant et qui est décédé à l’âge de 14 ans. Un lapso… Vous savez les petits chiens poilus que l’on gâte souvent trop. Lorsque je lui demande de me parler de sa famille, il se racle courtement la gorge.

Avec une voix plus émotive, il me dit venir de loin. Guy m’apprend qu’il n’a pas connu ses parents. Il a été séparé de sa famille tout jeune, pour des raisons qu’il ne connaît pas. Puis il me raconte aussitôt cette histoire.

Il y a environ une dizaine d’années, il est à Québec pour un court séjour avec sa bonne amie, Lucie. Ils sortent tous les deux d’un restaurant et sont absorbés dans une discussion. Il fait bon sur la rue St-Louis. En marchant, Guy accroche accidentellement un passant, mais captivé par sa conversation avec Lucie, il n’en fait pas de cas et poursuit sa route. Lucie remarque que le passant en question l’interpelle. Guy s’arrête, se retourne et l’homme, accompagné par sa conjointe, vient rapidement les rejoindre.

L’inconnu lance en blague : « Ben voyons, tu ne reconnais pas ton monde ! Je te faisais signe, puis tu ne venais pas me voir. Est-ce qu’il y a de quoi qui ne va pas ? »

Dans sa tête, Guy ne comprend pas trop… Qui sont ces gens ? Il ne les replace pas du tout. « Quand est-ce que l’on s’est vu ? Ça doit faire longtemps ? » Puis, il continue à les écouter, faisant semblant de rien, pour ne pas les décevoir. Sa mémoire lui joue parfois des tours, il se laisse donc le temps de réfléchir pour voir s’il peut les replacer. En vain, il n’y arrive vraiment pas. «Peut-être que je ressemble à une de leur connaissance», se dit-il.

« Excusez-moi, dit Guy , je ne vous replace vraiment pas ! Puis en plus, mon nom ce n’est pas Yves, c’est Guy. » Le couple de rétorquer aussitôt : « Ben voyons Yves, qu’est-ce qui se passe avec toi ? On est voisins depuis 20 ans ! »

Soudainement, comme en plein éveil, Guy croit comprendre ce qui se passe. «Dans la vie, tu ne peux pas ressembler à quelqu’un à ce point là», se dit-il. Il avait déjà fait des recherches concernant sa famille et tout s’éclaire. Il lance à l’homme « Écoute, mon nom c’est Guy pas Yves… Quand j’étais jeune, j’ai été séparé de ma famille. » Puis, en l’interrompant, le jeune homme semble entraîné dans ce même élan de lucidité. « Je sais, Yves m’en a déjà parlé… il était à la recherche de son frère. Tu es identique, vous êtes triplets… » On avait la boule, sur la rue Saint-Louis…

On peut s’imaginer comment ce fut un moment troublant. Le destin est parfois bien surprenant. C’est ainsi que Guy a été mis en contact avec son frère et sa sœur triplet. Des moments intenses qu’il n’oubliera jamais, on peut comprendre. Malheureusement, ses parents ont quitté ce monde un peu trop tôt et Guy les a ratés de peu. Toutefois, il se compte très heureux de pouvoir aujourd’hui fréquenter sa famille. Une partie du vide est pansée. Il insiste pour dire à quel point la famille, c’est précieux. De belles choses lui arrivent depuis qu’il a quarante ans, me confie-t-il.

Après cette histoire, on comprend mieux ce qui fait de cet homme, un être sensible, à l’écoute et plein d’empathie. On peut comprendre le vide qu’il a pu ressentir à certains moments de sa vie. Voilà des expériences qui se reflètent aujourd’hui dans tous les aspects de sa vie. J’insiste : «Même dans le travail ?»

« Ce n’est pas pour rien que j’ai cette réputation du «gentil» de la compagnie. » Et, il insiste, il faut toujours être reconnaissant et remercier les clients de leur fidélité lors d’un renouvellement. Et le voilà reparti, ardant, me parlant de l’éthique au travail et soulignant la qualité des relations qu’il a avec les clients. Définitivement, ce Guy a du vécu derrière la cravate et c’est un être entier qui se présente chaque matin à son travail.